Les pratiques agricoles en vogue dans la commune de Banikoara ne reçoivent pas l’onction de tous les acteurs. D’un côté, producteurs et quelques acteurs se disent plutôt satisfaits de leurs effets positifs. Pour d’autres par contre, les conséquences sanitaires et environnementales résultant de ces pratiques, fortement calquées sur l’utilisation abusive des intrants chimiques sont imparables. De nombreux spécialistes et citoyens restent perplexes quant à l’avenir de cette commune qui est présentée comme le bassin cotonnier du Bénin.
Par Henry DOSSOU
A Banikoara, il semble que « la terre, c’est la vie ». Sur, précisément, 246575 habitants (RGPH 2013) que compte cette commune, loin de 700 kilomètres de la capitale, Cotonou ; plus de 85% de cette population a pour activité principale l’agriculture. Avec une production estimée, pour cette campagne 2019 à 162785 tonnes, elle honore son rang de première commune productrice du coton au Bénin. Au contraire de la pensée populaire, Banikoara, ce n’est pas que du coton. «Les gens pensent à tort que Banikoara, c’est le coton, ce n’est pas vrai. Nous produisons ici beaucoup de maïs. D’ailleurs, dans ce sens, notre commune n’est pas si loin des autres communes productrices de céréales. Le Niébé, le Sorgho et le riz complètent le panel des cultures à forte dominance dans la commune ainsi que la production de légumineuses telles que les carottes, choux… » rétorque un Conseiller ruminant de la Cellule Communale de Banikorara (Ccb), une cellule sous tutelle de l’Agence Territoriale de Développement Agricole (Atpa), pôle 2. Mais le hic, c’est que, depuis quelques temps, de nombreuses voix s’élèvent pour tirer la sonnette d’alarme sur les conséquences des pratiques agricoles prônées dans cette commune étalée sur 438300 hectares. Les succès glanés, au fil des années, en termes de statistiques agricoles, ont laissé beaucoup de séquelles sur les plans sanitaire et environnemental.
Les pratiques agricoles en vogue à Banikoara
Dans la cité des « Banignassés », les techniques culturales pratiquées sont régies par un ensemble de pratiques et recommandations. Depuis quelques années, celles-ci ont été harmonisées. Le but étant d’améliorer le rendement des productions agricoles de la commune. A cet effet, elles ont fait l’objet d’une sensibilisation exceptionnelle au point où, aujourd’hui, l’ensemble des producteurs se réjouissent des résultats obtenus. « Dans notre zone ici, les producteurs sont à plus de 80% analphabètes et pauvres. Donc, ils ne maîtrisent pas très souvent les techniques modernes de production notamment celle relative au coton. Grâce aux efforts conjugués des gouvernants successifs, et surtout avec l’appui des agents encadreurs (actuellement appelés Conseiller), une prise de conscience s’observe, et on note unenette augmentation de la production » fait remarquer le conseiller coton de la Ccb, Nouhoun Alassane. Sabi Gani Orou, Dafia Yarou et Alou Oumarou, tous trois, producteurs dans la commune approuvent. Volontiers, ils reconnaissent le rôle ô combien important que joue le protocole cultural mis en place. Tirant un trait sur sa vieille pratique agricole Sabi Gani Ourou, par ailleurs, secrétaire général de la coopérative Gbanin Kikou, fort de ses 40 hectares de champs de coton emblavés en 2018, reconnait avoir commis par le passé des erreurs qui lui ont été fatales. « Avant je ne maitrisais pas les bonnes pratiques. Le calendrier cultural m’était inconnu. Je n’y prêtais guère attention. Lorsque je finis le semis, je ferme les poquets. Deux semaines après, je mets les engrais. Si je vois que les insectes attaquent mes cultures, je les traite systématiquement avec les insecticides. Les conséquences que je subissais étaient énormes : mes plants mourraient souvent très jeunes ou parfois l’abondance de la pluie fait que je n’obtenais pas de bons résultats. Maintenant, c’est mieux. » se réjouit-il. Comme lui, des milliers de producteurs autrefois sont passés à côté de leur objectif phare : améliorer le rendement de la production du coton. Fort heureusement, qu’aujourd’hui, la donne a quelque peu changé. Ce changement observé dans le comportement de ces producteurs n’est pas cependant anodin. Pour le Conseiller Coton, Nouhoun Alassane la recherche du prestige et la reconnaissance de la société en sont pour quelque chose. « Ici, les producteurs se défient entre eux. C’est sociologique, la concurrence fait partie intégrante de leur vie. Produire le coton, c’est se sentir fort avec beaucoup de fierté. Celui qui emblave plus de superficies à droit au respect de ses pairs, peu importe qu’il ait meilleur récolte ou pas. Néanmoins, le producteur qui respecte les bonnes pratiques avec de bonnes récoltes est un modèle pour les autres qui suivront ses pas» confie-t-il. A Banikoara, la pratique culturale la plus répandue est celle liée à la production du coton. Pour la réussir, normalement, le producteur se doit de respecter certaines étapes. Dans un premier temps, il faut identifier un « sol homogène, profond et riche en matières organiques ». A ce niveau, il est déconseillé « les zones ombragées, inondables et à forte pente ». S’en suivra, l’étape de la préparation du sol. Elle consiste au nettoyage de la superficie à emblaver ; à l’épandage du fumier de ferme : une phase qui n’est souvent pas respectée par la plupart des producteurs de la commune mais remplacée par une autre technique consistant à laisser les tiges du cotonnier, après récolte, dans les champs. Ces derniers servent à « enrichir biologiquement le sol » explique Nouhoun Allasane. L’étape de la préparation prend fin avec la phase du labour de préférence à plat. Dans le bassin cotonnier du Bénin, cependant, Nouhoun Alassane précise que le « binage » est une pratique très rependue en raison de la faible main-d’œuvre qu’il emploie. Cette technique est ancienne et emploie fortement les bovins comme instrument de travail. Après ces étapes, suivra le semis : «4 à 5 graines par poquet sont recommandés suivant un écartement de 80 sur 40 cm de telle sorte qu’on ait 62500 plants à l’hectare» détaille le conseiller coton. Il indique par la suite que la méthode du semis-poquet ouvert est préconisée. «On conseille, dit-il, aux producteurs de mettre les semences dans les poquets sans fermer après la première pluie. La prochaine pluie qui suivra devra refermer les poquets». Cette étape se déroule généralement de mi-mai jusqu’au 20 juin de chaque année et annonce celle du traitement phytosanitaire qui s’applique selon « un calendrier de 6 applications en 14 jours intervalles à partir du 45ème jour après la levée » note-t-on dans une fiche technique de formation mise à notre disposition. Il faudra également noter qu’au cours de cette phase, les engrais chimiques tels que le Npk, l’Urée et autres, herbicides et insecticides foisonnent dans la localité. Ce sont eux d’ailleurs qui sont à l’origine de toutes les critiques adressées à l’encontre de la culture du coton dans la commune. La durée du cycle de production du coton à Banikoara varie de 166 à 205 jours selon les conditions climatiques avec une espérance de rendement de 2 tonnes par hectare. Le maïs et le niébé sont deux autres cultures à côté du coton qui font aussi l’objet d’une attention particulière de la part des responsables agricoles. La pratique de production du maïs, de son côté, exige de préparer le sol en évitant « les terrains ombragés, inondables et à forte pente » ; de procéder au semis entre le 15 juin et le 15 juillet suivant « un écartement de 80×40 cm ». Différentes variétés de maïs existent sur le marché selon que le choix est porté sur une production extra précoce (70 à 84 jours), précoce de l’ordre de 85 à 94jours, intermédiaire (95 à 110 jours) et celle tardive de 120 jours. Le Niébé, quant à lui, nécessitera «un sol limoneux, limoneux sableux ou gravillonnaire, meuble, profond, riche et bien drainé, non hymorphe et pas trop riche en humus avec comme précédant culturaux le maïs, le sorgho, le coton, l’igname… ». Le choix et la qualité de sa variété est toutefois décisif. Il faudra, par conséquent choisir « des variétés à haut rendement pouvant résister aux insectes et maladies, faire le tri, traiter les semences avec le Thioral (250g/100kg de semences). La période de semis recommandée est de fin mai à mi-juillet. Pour la production de toutes ces cultures, l’utilisation des engrais chimiques n’est pas proscrite.
Les intrants chimiques, le socle du succès de la production agricole à Banikoara mais…
Lorsqu’on parle des intrants chimiques à Banikoara, il est difficile de trouver des acteurs agricoles qui en pensent du mal. Presque tous les producteurs rencontrés voient en ces produits un sauveur. «Sans les engrais chimiques, ce n’est pas évident que nous aurions pu faire de bonnes récoltes» lance l’un d’entre eux. Pour le secrétaire de la coopérative Gbanin Kikou, Sabi Orou, «c’est simplement impossible aujourd’hui d’envisager la suppression des intrants dans le secteur agricole. Sans l’utilisation des engrais chimiques, il n’est pas possible de croire que la culture du coton peut atteindre les résultats escomptés par le gouvernement du Nouveau Départ».
En effet, pour le compte de la saison 2018-2019, le défi d’une production record pouvant atteindre la barre de 700 mille tonnes a été atteint. Et pour la campagne 2019-2020 qui s’annonce, les ambitions sont grandes. 800000 tonnes est la visée du gouvernement. Pour atteindre ce but, d’importantes quantités d’intrants ont été acheminé et disposé dans des magasins, avant même le début de la phase de préparation du sol. Selon Nouhoun Alassane, le conseiller coton de la Ccb, «les intrants participent en grande partie au succès agricole dans la commune de Banikoara. Par exemple, le coton a besoin des engrais pour se développer normalement, le maïs pareil et bien d’autres cultures. Les herbicides permettent aux producteurs de faire quelques économies, car le sarclage n’est plus d’actualité. Il faut absolument traiter les plants lorsqu’ils sont attaqués. C’est le rôle que jouent les insecticides. Donc, c’est très difficile de se passer des intrants. Ils forment le socle du succès des résultats encourageants dans le secteur agricole». L’important rôle que joue les intrants chimiques dans la performance agricole de Banikoara n’est pas, cependant, sans conséquence sur la santé des producteurs de même que sur l’environnement de la ville.
Le désert à l’horizon…
Le constat est saisissant et amer. A l’entrée de la commune de Banikoara, la disposition clairsemée des arbres en dit beaucoup sur les risques que courent à l’avenir la commune. «Banikoara, aujourd’hui, c’est le désert. La ville n’a pas assez d’arbres. Le climat est toujours à l’extrême selon qu’il fait chaud ou froid. Voyez la chaleur qui règne actuellement, ce n’est pas normal» déplore dame Yvette N. rencontrée, un après-midi du mois d’avril, dans l’enceinte de la gare routière de cette commune. Pourtant, vers la fin du dernier mandat du prédécesseur de Patrice Talon, actuel Chef de l’Etat béninois, un projet d’ailleurs dénommée «dix millions d’âmes, dix millions d’arbres» avait été lancé en vue d’inciter au reboisement dans tout le Bénin. Banikoara particulièrement et le département de l’Atacora étaient clairement dans la ligne de mire de ce projet. L’alerte étant donnée, il fallait corriger le tir. Mais, avec le temps, force est de constater que tel n’est pas le cas. La rude concurrence que se livrent les producteurs excite davantage à la pratique d’une agriculture plus que jamais extensive. A en croire un conseiller qui tient à garder l’anonymat, la cause de cette concurrence réside dans le fait que le sol de Banikoara est devenu infertile. En effet, l’utilisation abusive des intrants, et ce depuis des années, a profondément eu un impact négatif sur le sol de cette zone. Or, le coton qui reste la principale culture de la commune déteste les terres pauvres en matières organiques. Pour un bon rendement, il est impératif d’avoir à sa disposition une terre riche. De même, dans le jargon de nos producteurs, qui conseille d’éviter « zones ombragées » incite indirectement au déboisement ». « C’est une situation de cause à effet » renchérit-il. Nouhoun Alassane, le conseiller coton, lui, n’a pas le même point de vue que son collègue qui a requis l’anonymat. Pour lui, cette opinion n’est qu’une mauvaise interprétation des réalités agricoles de la commune. « Banikoara a bien plus d’arbres qu’on ne le croit. Dans certaines zones, les producteurs s’y mettent déjà même à la production de l’anacarde » réplique-t-il. Cette déclaration peut surprendre puisque sur l’ensemble des zones que nous avions parcourues, elle reste difficilement vérifiable. Outre cette conséquence d’ordre environnemental, il faut noter le danger qui guette le secteur de l’élevage de la commune. Selon le Conseiller ruminant de la Ccb, la pratique de l’agriculture extensive impacte négativement le secteur de l’élevage des gros ruminants. « Les couloirs de passages des bœufs, caprins, bref des ruminants sont obstrués par les champs. Cela a pour effet d’éloigner les éleveurs qui faisaient la fierté de la commune jadis. Car, Banikoara, c’était un gros réservoir de cheptel au Bénin si ce n’est le premier. Tel n’est plus le cas maintenant, l’élevage a du plomb dans l’aile » regrette ce conseiller.
L’intoxication alimentaire au quotidien…
Sur le plan sanitaire, la commune continue de connaitre d’énormes difficultés pour maîtriser les nombreux cas d’intoxications alimentaires et autres risques liés à l’utilisation des intrants agricoles. Dans une enquête signée par Jean Claude Dossa et publiée sous la coupole de l’Union des Professionnels des Médias du Bénin en 2012, Dr Olodo Laïfoya, médecin-chef, de l’hôpital de zone de Banikoara d’alors, expliquait comment les nombreux cas de décès survenus dans la commune ont eu pour origine principalement la culture du coton. En substance, on retient de sa démonstration que les flacons contenant les insecticides et les herbicides etc. gardent très souvent des substances actives et toxiques. Au regard de l’analphabétisme qui prévaut dans la commune, les producteurs utilisent ces flacons « pour mettre de l’eau, du lait, de la bouillie pour aller au pâturage. Ils s’exposent ainsi à l’intoxication alimentaire ». Des années plus tard encore, ces mêmes pratiques continuent. De plus, explique un agent de santé sous anonymat, « les producteurs nettoient souvent les bidons contenant les insectes et autres dans les retenues d’eau . Or, la rareté de cette denrée vitale dans la commune, conduit ces populations a exploité la même source d’eau pour des fins de vaisselle et de lessive. Parfois même pour usage domestique. Ce qui est très dangereux, car ces eaux sont polluées par les résidus chimiques des intrants, ce qu’elles semblent ne pas comprendre ». Alou Oumarou, un cultivateur peulh rencontré dans l’arrondissement de Founougo explique qu’ils ne peuvent autrement, et s’en remet à Dieu. « On prie seulement qu’Allah nous épargne de ces malheurs. Nous n’avons pas d’autres choix » dit-t-il, l’air fataliste. Les nombreuses séances de formation sur le port de masque de protection, d’accoutrements et des gants n’ont pas portés les fruits escomptés. La négligence de ces bonnes pratiques pourtant recommandées a des effets alors dévastateurs sur la santé des producteurs. Le mobile, de ce non-respect, avancé par ces derniers est essentiellement lié au manque de moyens financiers. « Nous n’avons pas d’argent pour acheter tous ces équipements » déclare un autre producteur.
Que dire du rôle de l’autorité communale et des partenaires agricoles.
Selon les informations recueillies auprès de diverses sources, la mairie de Banikoara prélève une taxe dite « taxe de développement local (Tdl) » sur la quantité de tonnes de coton produites. « La mairie prélève 2 Fcfa par kilogramme soit 2000francs Fcfa sur chaque tonne de coton produit dans la commune » confie le conseiller coton Nouhoun Alassane. La gestion de ces fonds censés contribuer au développement de la filière reste incomprise des producteurs. C’est du moins ce que laissent entendre bon nombre d’acteurs qui disent ne rien savoir de l’apport de la mairie au développement de l’agriculture. Quelques cadres de la municipalité de Banikoara approchés ont confirmé que la mairie ne dispose pas d’initiatives propres à elle dans le secteur. Un manque de vision incompréhensible lorsqu’on sait tous les risques liés à la pratique agricole de la commune. L’apport des partenaires agricoles dont les actions de quelques projets visibles sur le terrain est salué par les producteurs. ProSol-Giz et d’autres structures en collaboration avec les associations faîtières des producteurs œuvrent pour le développement durable du secteur agricole à en croire à leurs dires. L’Etat, s’étant presque désengagé du secteur cotonnier en passant le relais à l’Association Interprofessionnelle du coton (Aic), semble jouer sa partition à travers le déploiement des conseillers agricoles sur le terrain. Mais, pour soigner Banikoara, plus d’efforts restent encore à fournir. Des mesures urgentes s’imposent selon certains acteurs pour freiner notamment le phénomène du déboisement qui inquiète de plus en plus.