«Produire 20.000 tonnes, …les acteurs sont prêts et nous disons au gouvernement de ne pas faire marche en arrière… » rassure OGA Ogouma Prudence
L’Etat Béninois a décidé de mettre fin à l’importation des œufs de table et des poulets congelés sur son territoire. Courageuse décision qui, pour ne pas faire flop, mérite la mise en place d’une série de mesures afin d’assurer l’effectivité de la décision. Quel est le niveau de préparation des aviculteurs pour relever le défi, c’est-à-dire, combler le déficit de 20 tonnes de produits carnés et surtout assurer des produits sains avec toutes les commodités requises ? A travers une interview accordée à Prudence Ogouma OGA, Para-vétérinaire,
Coordonnateur Borgou-Alibori de l’Union Nationale des Aviculteurs Professionnels du Bénin (UNAP-BENIN), Agri Impact a fait le point pour son lectorat des réformes de l’Etat, de l’assurance des aviculteurs mais aussi des opportunités que cette filière apportent à la jeunesse béninoise.
Agri Impact : Le gouvernement béninois
a décidé d’interdire l’importation des
produits avicoles sur toute l’étendue du
territoire. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
OGA Ogouma Prudence : Ce fut une grande joie pour les acteurs de la filière
avicole. Cela fait plusieurs années que l’organisation professionnelle du secteur
œuvre pour que le gouvernement nous aide à assainir le secteur. Mettre un terme aux importations de ces produits ne peut que nous réjouir. C’est un défi et je salue le courage du gouvernement qui a pris cette décision. Les aviculteurs s’organisent de la meilleure manière.
Quelles sont les précautions que vous
prenez pour pallier au déficit de ces produits congelés jusque-là cédés à moindre coût aux nombreux consommateurs béninois ?
Entre autres mesures, nous avons d’abord le renforcement de capacités des acteurs. Autrefois, on faisait majoritairement les œufs de consommation. La production de poulet chaire était faite juste pour la période des fêtes de fin d’année, seul moment propice pour la vente nos produits. Aujourd’hui avec cette mesure, on est appelé à diversifier la production. Dans ce sens, l’organisation est entrain de renforcer ses membres à travers des ateliers de formation. En plus de cela,
la cartographie nous permet de recenser tous les acteurs actifs, car il y en a parmi
nous qui ont abandonné par découragement. Le recensement permettra de voir la capacité de production de chaque ferme. Par ailleurs, au niveau de chaque commune, les éleveurs se mettent en coopérative multi-acteurs. Ces coopérative regroupent en leur sein aussi bien des agriculteurs que des éleveurs. Les premiers seront les pourvoyeurs de
matières premières aux exploitations avicoles qui pourront produire de façon
conséquente. Nous sommes également en partenariat avec la Direction de l’agriculture, l’élevage et la pêche (Ddeap) pour le renforcement des capacités des acteurs en ce qui concerne la biosécurité, histoire de pallier aux différentes maladies à titre préventif. Il y a donc un travail qui se fait avec la Ddaep.
Cela suffit-il à combler un vide de plus de 20 mille tonnes par année ?
Tel que je vous le disais, on s’est focalisé depuis plusieurs années sur la production des œufs. Et vu que le marché de la viande est fortement concurrencé par les produits importés, beaucoup d’aviculteurs ne s’aventuraient pas sur ce terrain. Pas parce qu’ils ne voulaient pas. Je peux vous dire que l’élevage de chaire est beaucoup plus rentable que les poules pondeuses,
parceque c’est des sujets à cycle court qu’on met en place. Maximum 45 jours
au plus 50, le poulet est déjà prêt et on libère le poulailler puis on installe encore une autre bande. Et si l’exploitation est bien organisée, après la première bande, deux semaines ou trois semaines après, la seconde bande suit, et au fur et à mesure, de sorte qu’il n’y ait pas de rupture de poulets tout au long de l’année. Donc produire 20.000 tonnes, je pense que les acteurs sont prêts et nous disons au gouvernement de ne pas faire marche en arrière. Cette mesure doit aller jusqu’au bout !
Il est connu de tous que les poulets sont abattus dans des conditions très critiques. Comment pensez-vous garantir aux consommateurs des produits sains?
Déjà je peux vous dire qu’il y a dans la filière plusieurs acteurs qui interviennent ou qui interviendront dans la chaine de valeur. Nous autres producteurs en ce
qui nous concerne, tout ce qui a trait à la zootechnie, c’est-à-dire l’alimentation,
la santé et le suivi des animaux, nous prenons l’engagement de suivre et de
respecter strictement tous ces paramètres. C’est dans ce sens que les agents de la Ddaep nous accompagnent
sur le terrain en matière de suivi des exploitations. Les règles de biosécurité seront mises en place pour empêcher les gènes pathogènes dans les exploitations ou à défaut, si les gènes sont présents, empêcher qu’ils se propagent tout autour. L’objectif c’est de mettre à disposition des produits sains pour la consommation. Les animaux sur place seront nourris avec la matière première locale. Pour ce qui va suivre, c’est-à-dire l’abattage, le conditionnement de la viande, je pense que l’Etat est entrain de travailler dans ce sens. C’est prévu qu’il y aura la construction des abattoirs modernes. Les éleveurs vont élever les poulets et une fois à maturité, il y aura des agents qui vont les collecter sur les fermes et il y aura une traçabilité. On sait que tel lot provient de telle ferme et après abattage, il y aura le service sanitaire qui va s’occuper du contrôle de ces animaux abattus avant que ces animaux n’atterrissent dans le circuit de distribution. Et même une fois dans les poissonneries et autres, il y a des agents de la Ddaep qui feront des contrôles réguliers au niveau de ces points de vente de denrées animales pour la consommation humaine. Donc sur toute la ligne, il y a aura tout un tas de mesures pour assurer au consommateur finale la sécurité de ces produits. Tel qu’on le voit dans les marchés, je dirai que c’est
des non professionnels qui rachètent majoritairement les poulets locaux et on sait très bien les conditions dans lesquelles ils sont abattus. On peut tremper une centaine de poulets dans la même eau et les éviscérer dans conditions insalubres. Je pense que les abattoirs vont se mettre en place pour permettre un abattage centralisé et contrôlé avant que les produits n’entrent dans les circuits de distribution.
Quelles sont les mesures d’accompagnement du gouvernement à votre endroit pour booster la production, imposer vos produits sur le marché et inciter les populations à la consommation locale?
Déjà dans le secteur agricole, le gouvernement est en train de promouvoir les semences de maïs à haut rendement, c’est-à-dire du maïs hybride, le maïs jaune destinée pour la consommation animale. Vous allez voir sur le marché, on a tendance à utiliser beaucoup plus le maïs blanc pour la consommation humaine. Les gens n’aiment pas le maïs jaune pour la consommation humaine. Le gouvernement est dans l’optique de généraliser la production des maïs hybrides à haut rendement, c’est-à-dire des maïs qui peuvent donner 5 à 10 tonnes à l’hectare si toutes les itinéraires techniques sont mises en place. A travers les boutiques Sodeco, ces semences sont disponibles et le gouvernement fait la promotion et la distribution auprès des producteurs. Avec cette politique, c’est déjà une manière d’accompagner les producteurs parce qu’en ces temps de pénuries, vous
savez que le maïs est très utilisé dans l’alimentation de la volaille. En dehors de
ça il y a des couvoirs qui sont entrain d’être mis en place. Il y a un couvoir qui est en train d’être installé dans la zone industrielle de Glo Djigbé. In fine on aura sous la coupole du gouvernement une chaîne complète de couvoir, provenderie et abattoir. Toujours, à travers l’Atda 7 qui est le pôle ayant en charge la filière œufs de table et viande, l’Etat va mettre à la
disposition des aviculteurs des subventions, c’est-à-dire que l’achat des poussins d’un jour sera subventionné. Ça se fait déjà depuis plus de trois (3) ans avec les poules pondeuses. Cela se fera également avec les poussins de chaire qui seront distribués et mis à la disposition des acteurs.
Les consommateurs n’ont-ils pas à redouter de vous une envolée des prix des produits avicoles au lendemain de cette décision ?
Non je ne crois pas. Pour être véridique, il faut dire que pour les produits importés, si les gens payaient régulièrement les taxes douanières et qu’on prenait en compte le coût réel de production de ces animaux dans leurs pays de provenance, je crois qu’on ne leur cèdera pas aux prix auquel le consommateur est habitué. Prenez ici
l’habitude d’aller acheter un kilo de viande vous-même. Sur place le kilo de viande est à 2.500 FCFA. Mais ici demander à un consommateur d’acheter un kilo de volaille à 2.500 FCFA, les gens seront réticents. Donc je ne crois pas qu’il y a aura envolée des prix mais peut-être il y aura un équilibre des prix qui va s’établir et le consommateur pourra décider de choisir la viande qu’il désire. Etant producteur, on ne peut pas produire et vendre en dessous du coût de production. Et si de manière raisonnable, on prend un poulet dans une exploitation avicole, il faudra débourser entre 1.800, 1.900 voir 2.000 FCFA. Je ne
peux pas produire à 2.000 et venir le céder sur le marché à 2.000 francs. Non ! Les prix habituellement pratiqués même avec la forte concurrence des produits
importés est de 2.500 ou au plus 3.500 francs. Ça dépend de la taille de la carcasse. Il y a également toutes les commodités en ce qui concerne la découpe, la vente des morceaux de viande. Des entrepreneurs le font déjà. Si vous êtes dans le besoin de n’acheter rien que les pattes, les têtes ou les gésiers, vous les aurez. Seulement que ce n’est pas encore à grande échelle. Mais avec cette mesure du gouvernement, les choses iront très vite.
Quel appel avez-vous à lancer au gouvernement, aux entrepreneurs avicoles, aux jeunes et aux consommateurs ?
A l’endroit du gouvernement, qu’il n’est pas de crainte par rapport à l’application de cette mesure. Quelle soit vraiment mis en application. Déjà le gouvernement fait énormément d’efforts dans les mesures d’accompagnement. On lui demandera davantage d’œuvrer dans ce sens tout en instituant des structures de crédits pour permettre aux acteurs d’avoir accès à des produits de proximité afin d’améliorer les infrastructures d’élevage, d’améliorer également les techniques pour augmenter la productivité. Que le gouvernement mette en place des politiques pour pouvoir sensibiliser les populations dans ce sens afin que les gens commencent déjà à s’y faire, puisque bientôt ce serait la consommation du poulet local.
A l’endroit des aviculteurs en activité, je leur demande d’y croire, car certains se
disent on attend le jour J. c’est vrai que les sujets que nous allons mettre en place seront des sujets à cycle court pour produire de la viande, mais il faudrait que les producteurs commencent déjà à s’apprêter. Ceux qui avaient abandonnés, c’est le moment de revenir et mettre à jour ce qui est nécessaire au niveau des exploitations avicoles afin de répondre présents et travailler mains dans la main pour relever ce défi qui nous est lancé. On a beaucoup méditer pendant des années et l’opportunité est là maintenant. Ce n’est pas le moment de baisser les bras, mais plutôt de saisir cette opportunité et de nous relancer. Auparavant, on voyait l’aviculteur comme celui qui travaille beaucoup et qui ne gagne rien. Lorsque les jeunes viennent des universités ou des lycées en stage dans les fermes et voient que l’exploitant travaille 7 jours/7 et ne vit pas de son travaille, ça les décourage et ça fait que beaucoup de jeunes hésitent à s’aventurer dans la filière. Moi je dirai que
c’est le moment pour que ces jeunes prennent des initiatives, commencent
déjà par préparer leur plans d’affaires et soumettre au niveau des structures de
micro finances pour intégrer le grand cercle des aviculteurs. Avec la prise de cette mesure, ça va créer beaucoup d’opportunités. Il y a beaucoup d’emplois
qui seront créés que ce soit dans les fermes ou dans les circuits de distribution et le reste. Ceux qui n’ont pas encore les prérequis en matière d’élevage doivent se faire former et intégrer cette grande famille des aviculteurs.
A l’endroit des consommateurs, je dirai que nous sommes tous consommateurs. Et la tendance de prendre ce qui vient de l’extérieur au détriment de ce qui est sur place doit être renvertée. On s’appauvrit sans s’en rendre compte. En décidant de
consommer notre production, on crée de la richesse et tous ces jeunes qui sont
à la maison trouveront un intérêt à se lancer dans le secteur. Donc on crée de
l’emploi et on assure la santé des aliments puisque c’est produit sur place. Le consommateur aura la possibilité d’aller visiter les fermes pour voir comment est-ce que ces poulets-là sont nourris, comment est-ce qu’ils sont abattus, emballés, ce qu’on n’a pas la possibilité de voir avec les poulets importés. A l’endroit des banques et des institutions de micro finances, je leur demanderai d’être beaucoup plus souples dans l’accompagnant des acteurs du secteur avicole. C’est vrai que c’est un secteur à risque mais il faudrait qu’ils partagent les risques avec les acteurs et qu’ils sachent qu’aujourd’hui, c’est un secteur soutenu par l’Etat. Ils ont aussi à gagner en accompagnant les acteurs par la mise en place de produits adaptés. Désormais, il s’agira de produits à cycle court; en deux mois, un cycle est déjà bouclé et s’il y a un crédit qui est contracté, la banque est déjà réglée. Le promoteur en a pour son compte, le consommateur aussi et tout le monde est satisfait.
A l’endroit des partenaires techniques et financières, je leur demande de toujours
soutenir nos faîtières à travers les renforcements de capacités et des subventions. D’ici là, le Bénin aussi pourra se vanter d’avoir réussi à imposer le secteur avicole comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Sénégal et même le Togo à côté, pour ne citer que ceux-là.
Irédé R. KABA