Dérèglement pluviométrique dans le pôle de développement agricole n°4 : Les producteurs sur le qui-vive !

0 129

Le dérèglement pluviométrique de la saison 2018-2019 telle qu’annoncé au cours du Forum des prévisions des caractéristiques Agro-hydro-climatiques des pays du Golfe de Guinée, tenu à Cotonou du 25 février au 1er mars 2019 semble peser lourdement sur les activités agricoles dans le pôle de développement n°4. La tombée tardive des pluies enregistrée çà et là, donne déjà de l’insomnie aux producteurs du Borgou et à ceux de la Donga. Des craintes d’une éventuelle famine se mêlent aux désespoirs et les producteurs s’adonnent désormais aux désherbants pour conjurer le sort.

Par Daouda BONI

La quiétude des producteurs est agitée dans le pôle de développement agricole n°4. Des pluies précoces en avril, des poches de sécheresse courant les mois de mai et juin puis une forte abondance des eaux dans certaines régions du Borgou dans le mois de juillet. Tel est le quotidien que vivent les producteurs agricoles du Borgou et de la Donga en cette saison agricole 2018-2019 au Bénin. Dans les arrondissements de Tchaourou, même si l’on note une avancée des activités agricoles, les producteurs quant à eux se plaignent des effets néfastes déjà enregistrés sur la croissance des champs d’ignames et de maïs. Soumanou Dorité, fils d’un producteur à Yamarou confesse que cette année l’igname sera de faible abondance dans son village: «La sécheresse a presque détruit toutes les ignames plantées en mai. Le champ de mon père ne nous promet pas grande chose alors qu’en  pareille  période (mi-juillet) les années antérieures, nous nous préparions pour consommer la nouvelle igname». Le phénomène ne se limite pas dans la commune de Tchaourou. Dans la Donga, la situation semble être un peu plus préoccupante. Les terrains aménagés pour le labour sont presque intouchés voire oubliés. Les pieds d’ignames flétris, les semis de maïs, de sorgho et du mil renouvelés à maintes reprises ne signalent malheureusement que quelques bribes d’espoir.

Les nouvelles contraintes…

En cette mi-juillet, les produits agricoles dans ce département n’attendent en temps normal que quelques jours pour soulager les besoins vitaux des ménages. Mais pour l’heure, les poches de sécheresses prolongées semblent avoir raison sur le cours normal de la saison agricole dans cette zone agricole. Les cultivateurs s’indignent et crient au secours. A en croire Saré Amda, cultivateur à Tanéka-Béri, après la tombée des premières pluies en début du mois de mai, une « très sévère sécheresse» s’est installée jusqu’à la fin du mois de juin laissant ainsi des conséquences fâcheuses sur les plantations d’ignames et les premiers semis de céréale. «Les ignames plantées germaient déjà et nous nous contentions des céréales. La majorité des jeunes pousses d’ignames ont pourri. Nous avons pratiquement, tous, repris la plantation d’igname en début du mois de juillet». D’une mine renfrognée dans un regard de déception, Biaou Djimon tire la sonnette d’alarme : «L’igname, le maïs, le sorgho et le mil sont nos produits vivriers et il faut en moyenne cinq à six mois avant de récolter. Si c’est en juillet nous semons alors il va falloir qu’on change de variété de semences».

Colère du dieu de la pluie  Gbaana ?

Au Bénin, rien n’arrive au hasard. Le moindre geste d’abattage d’un arbre sacré ou d’une pierre temporairement négligée peut attirer la colère des dieux sur tout un peuple. C’est «la tradition» dit-on !  Dans la Donga, le prolongement de la saison sèche dû au retard des pluies s’apprécie diversement. Si pour les uns, les aléas climatiques sont un indicateur de taille dans le débat de rareté de pluies, d’autres personnes  croient fermement en la capacité des êtres invisibles à décider du sort des populations eu égard au respect qui leur est dévolu. Pour ce phénomène de «poches de sécheresse»  en cours, des explications se multiplient et les commentaires jonchent les débats du soir et de quelconque rencontre sur la voie du champ ou du marché. Pour certaines voix respectables des sciences de la tradition de la commune de Copargo, Gbanaa, le dieu de la pluie serait en colère pour des raisons de désobéissance et d’abandon des mœurs et coutumes.

Recours aux produits phytosanitaires pour mieux emblaver …

Dans un milieu où l’agriculture demeure encore conventionnelle, surmonter les difficultés liées à la sécheresse est un défi de taille pour le producteur. A l’aide de la daba, du coupe-coupe et de la pioche,  emblaver des terres pour une exploitation agricole requiert beaucoup d’énergie et du temps. Chose compliquée pour le cultivateur qui devra désormais travailler encore dur et sur un sol craquant pour espérer un « grenier plein » à la récolte. Alassane Djotidjo, cultivateur dans l’Arrondissement de Kolokondé dans la commune de Djougou confie comme bien d’autres d’ailleurs qu’il fait plus recours aux produits désherbants en cette saison pour mieux profiter des quelques pluies au cycle inhabituel : «J’ai compris très tôt qu’il fallait faire usage des herbicides et procéder à la semence… Mon champ de maïs est déjà enviable» clame-t-il.  Sadikou Bamoi approuve et souligne qu’outre les deux cartons de douzaine d’herbicides qu’il s’est procuré au marché de Kassouala (marché situé à la frontière Bénin-Togo dans la commune de Ouaké) pour défier les mauvaises herbes, il s’est acheté six sacs d’engrais-coton pour fertiliser ses terres. « J’ai pris mes dispositions dès le début pour éviter une mauvaise récolte à la fin de la saison ».

Le verdict des prévisions climatologiques au Bénin

Selon le rapport du Forum des prévisions des caractéristiques Agro-hydro-climatiques des pays du Golfe de Guinée (Resagg) tenu du 25 février au 1er mars 2019 à Cotonou et publié dans le précédent numéro Agri-Impact, les risques des catastrophes climatiques pour le compte de la campagne agricole 2019 seraient immenses pour les producteurs. Ce forum a souligné que les indicateurs pluviométriques ne sont globalement au « vert » qu’au Sud Bénin sans commenter la situation dans la région septentrionale. Précocité des pluies et des poches de sécheresses ont-ils annoncé. Le Dr Agali Alhssane, expert agronome, en déduisait qu’il urge de parer au plus pressé. « Les cumuls attendus sur le Bénin ont une tendance normale mais excédentaire. Il y aura des séquences sèches qui sont attendues surtout vers la fin de la saison » disait-il. « Les producteurs doivent mettre les cultures en place assez tôt afin de profiter du début précoce des pluies, puisque, vers la fin, il est prévu des situations qui pourraient occasionner l’installation des poches de sécheresse qui peuvent être dérangeantes pour les cultures». Le géographe environnementaliste et spécialiste en gestion des catastrophes naturelles Brice Enagnon Sohou à travers un entretien accordé à la rédaction de la Radio Fraternité Fm et publié dans nos colonnes, prédisait que le pôle de développement agricole n°4 et n°6 seraient plus sensibles au dérèglement pluviométrique : «…il y a deux ans nous avons publié un livre où nous avons démontré qu’au Nord Bénin, les céréales sont les plus sensibles aux dérèglements pluviométriques». Les raisons selon le spécialiste : «les paysans seront troublés et perturbés par rapport à la bonne période de semence et il faudra une bonne sensibilisation ».

C’est bien là que le bât blesse     bien que le secteur agricole soit un levier majeur du développement de l’économie béninoise, les pouvoirs publics ne cessent guère, devant micro et caméras, d’affirmer leur détermination à faire de ce secteur un outil moderne au service du développement à la base. Former les producteurs sur la maîtrise des aléas climatiques, mettre à la disposition des producteurs des semences à forte productivité et adaptées aux dérèglements pluviométriques … sont entre autres les conclusions des ateliers et foras. Dès lors que les colloques sont terminés, et experts et parties prenantes, plus personne n’en parle. Il faut donc se donner rendez-vous sur d’autres foras, cravates nouées à l’américaine pour décrypter la qualité et la quantité des fruits des efforts du cultivateur meurtri sous le soleil. C’est bien malheureusement la triste réalité. Sabi Yari Bassaou, cultivateur à Kika trouve que même si l’agriculture date des premiers hommes sur la terre, celle-ci ne peut pas se passer de la science moderne : «Nous ne sommes plus en mesure à nous seuls de maîtriser la pluie sans le soutien des spécialistes. On apprend souvent à la Radio que le Gouvernement veut former les producteurs et tout s’arrête là. Les informations ne nous parviennent pas». Une triste situation que déplorent bon nombre de producteurs : «Même si nous ne savons pas lire, il faut qu’on nous apprenne à maitriser le calendrier des pluies et l’utilisation des semences adaptées aux aléas climatiques ».

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.