Institué par le décret n°2018-073 du 12 mars 2018, le Recensement National de L’Agriculture (Rna), présenté par le gouvernement béninois comme la plus vaste opération de collecte de données statistiques (quantitatives et qualitatives) sur l’agriculture a connu son épilogue courant le mois de février 2019. Au regard de l’ambition affichée par le gouvernement à travers une campagne médiatique de haute volée ; sur le terrain, beaucoup de citoyens concernés disent ne jamais avoir été enregistrés et oubliés.
Par Daouda BONI
En vertu des dispositions de l’arrêté 2018/034/maep/dc/sgm/daf/dsa/cj/sa/037sgg18 du 04 juin 2018 portant nomination des membres du comité de pilotage et agents enquêteurs du Rna, 5600 agents recenseurs, 1200 agents cartographes et 1400 agents contrôleurs tous encadrés par 27 coordonnateurs de zone ont été déployés partout sur le territoire national. Collecter directement auprès des ménages des données structurelles sur l’agriculture, l’élevage et la pêche d’une part, et d’autres part sur la transformation et la commercialisation des produits agricoles ; c’est la mission de ce recensement qui a débuté le 11 décembre 2018. Pour le gouvernement béninois, il est une priorité absolue puisqu’étant inscrit comme telle dans le Programme d’Action du Gouvernement (Pag) du président Patrice Talon. En même temps, il répond à la vision du Programme mondial des recensements agricoles 2020, piloté par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. En terme de finalité, le Rna doit permettre de mesurer la dynamique du monde rural, fournir des données sur la typologie des exploitations familiales agricoles, organiser les informations collectées en banque de données, contribuer à la mise en place d’un système permanent de production de données, fournir des bandes de références pour les techniques de sondages et de renforcer les capacités techniques des intervenants de la chaîne de production des statistiques agricoles. Mais, pour sa mise en oeuvre, de l’aveu des agents recrutés pour la cause et des citoyens concernés, beaucoup de dysfonctionnements pouvant conduire à s’interroger sur la fiabilité de l’opération sont à relever. Des difficiles conditions de travail des agents à la mauvaise qualité des matériels de travail (Gps, …) en passant par le manque de suivi sur le terrain par certains coordonnateurs de zone, chefs d’équipe et autres ; le Rna pour eux semble mal partir. La fiabilité de l’opération entachée par le double jeu des agents A entendre les agents recrutés, le retard de payement des frais de carburation et, surtout le changement des modalités du processus du recensement reçus lors de la formation, en pleine phase de terrain, ont pesé très lourd sur la motivation du groupe et par conséquent sur le résultat escompté. Tout au début déjà, « en partant sur le terrain, certains Gps mis à la disposition des agents cartographes refusaient de s’allumer. Il n’y avait même pas de pile chez certains et on se débrouillait comme on peut. Les cahiers de cartographie et d’énumération n’y étaient pas » explique Djibril, un agent cartographe. Il n’entend pas s’arrêter là et s’interroge « pire, c’est à quelques jours de la fin de l’opération qu’on est entré en possession des sous de carburation. Comment pouvait-on bien travailler dans ces conditions ?». A ces difficultés, s’ajoutent le refus, dans certaines localités, des autorités à coopérer dans le but de mieux localiser leurs villages. Ce qui rend difficile la délimitation des zones de dénombrements. «Nous avons rencontré des difficultés qui ont induit à l’omission de certains ménages par endroit. Certains chefs villages refusaient de nous fournir des renseignements sur les limites administratives de leur village alors que nos contrôleurs et chefs d’équipes voire les comités départementaux installés dans ce cadre étaient censés sensibiliser les populations avant le démarrage de l’opération de recensement» s’est indigné l’agent cartographe Djibril. Entre agents sur le terrain, l’ambiance qui régnait n’était pas des plus cordiales non plus. De mauvaise foi, la majorité d’entre eux ont joué à un double jeu ne faisant pas correctement le travail à eux confié. Pour exemple, une fiche questionnaire prévue lors de la session de formation est censée parvenir aux chefs villages et aux autorités. Malheureusement, celle-ci, à la charge des chefs d’équipe n’a jamais atterri chez bon nombre d’autorités concernées. La faute à certains chefs d’équipes de « mauvaise foi » restés chez eux pour répondre au questionnaire de la fiche. Témoin oculaire d’une telle pratique, l’agent recenseur S. Fousséni rencontré dans le département de la Donga n’en revient pas quand il surprend son chef hiérarchique en flagrant délit de remplissage de ladite fiche. C’est le même reproche qui est fait aux agents recenseurs. «Je connais certains agents qui ont recensé plus de deux cents (200) ménages en étant chez eux contrairement aux consignes reçues en formation qui exigent qu’avant toute collecte d’informations auprès d’un ménage, il faut nécessairement s’adresser aux chefs ménages ou tout autre membre de la famille à même de fournir de vrais renseignements sur leurs activités agricoles» rappelle Fousséni. La preuve de cette allégation vient de ce cultivateur résidant dans l’Arrondissement de Kika (commune de Tchaourou). «Un jour du retour du champ, j’ai vu des marquages sur le mur de ma maison. Une semaine plus tard je refais encore le même constat. C’est par l’un de mes voisins que j’ai appris qu’il s’agissait d’un recensement (Rna). Puis, je me suis demandé, comment peut-on recenser mon ménage à mon absence» raconte le cultivateur T. Doritè l’air indigné. Comme lui, beaucoup de chefs de ménages ont été recensés à leur insu sans que sur le terrain, très tôt, l’alerte ne soit donnée. Les cas les plus criards sont les nombreuses omissions observées. Dans la commune de Parakou, par exemple, le conseiller local du quartier Bannikani Eni-Arafat, Dramane Yacoubou affirme n’avoir reçu aucun agent cartographe-énumérateur encore moins des agents recenseurs. Dans le même sens, les chefs de ménages rencontrés, tous unanimement, ont reconnu n’avoir pas été approché par un agent recenseur du Rna. Des exemples comme celui de Bannikani sont légions. Rien que dans la commune de Parakou, plusieurs quartiers ont été omis laissant aux citoyens le sentiment que le Rna n’a peut-être pas eu lieu. Comment peut-on omettre de recenser tout un quartier de surcroît dans les grandes villes où il est clair que plusieurs chefs de ménages sont des exploitants agricoles, fermiers notamment ? A cette question, pour beaucoup de citoyens, il est difficile de trouver une réponse concrète. D’où l’inquiétude de ces derniers sur la fiabilité des données collectées. Pas d’inquiétude, tout sera corrigé… Il n’y a pas de souci à se faire, tempère le Directeur Départemental, de l’Elevage et de la Pêche du Borgou ; et président du comité départemental de Rna. Bori Bata Yerima Khalifa reconnait les insuffisances notées et les difficultés rencontrées lors de l’opération. Mais pour lui «quelle que soit la méthodologie utilisée, il doit toujours avoir des ratés» lance -t-il. Et, comme pour répondre à la grogne des agents (toutes catégories confondues), il avoue que les « prévisions faites au départ n’ont pas été à la hauteur des réalités du terrain ». Si de l’aveu même des agents sur le terrain, il est prouvé que certains ont boycotté le travail, lui, il pense qu’il s’agissait de « quelques insuffisances de communications qui ont entrainé la résistance de certaines populations ». Comptant sur les logiciels statistiques, il estime que ces manquements ne sont aucunement de nature à entacher la crédibilité du Rna. «En statistique, il existe un certain nombre d’outils qui permettront de prendre en compte toutes les ratées d’omissions de ménages pour sortir un document fiable dans ce secteur. Le recensement a été une réussite» conclut-il. Un son de cloche qui tranche avec les cris de colère des nombreux ménages omis.